La Data « avalant le monde », à quoi bon décrire les acheteurs au travers de Personas alors qu’un travail sur la donnée, si ce n’est l’appel à l’Intelligence Artificielle permet de proposer la bonne offre, au bon moment, à la bonne personne ?
Que ce soient les zettaoctets de données créées sur le Web ou les remontées d’informations client via les ERP, les CRM ou même les Objets connectés, la fameuse data est partout, tant en BtoC qu’en BtoB. Avec cette donnée qui nous submerge, il est tentant de penser que ce flux constant détient la clef de la connaissance pour une prise de décision limitant ainsi la prise de risque.
Or il s’agit là d’une double confusion : confusion de la donnée et de l’information, confusion du risque et de l’incertitude.
La donnée en tant que telle n’a que peu de valeur si elle n’est pas transformée en information, car seule celle-ci aide à la prise de décision.
Ainsi le flux continu de données ne crée que du bruit.
Un bruit qui masque l’essentiel si nous ne savons préparer, transformer et exploiter les données. Par exemple en les rapprochant du référentiel de l’entreprise pour ensuite les consolider afin d’alimenter des outils d’aide à la décision.
Car ainsi que le schématise le modèle Donnée / Information / Connaissance / Sagesse d’Ackoff, il y a loin de la collecte de données à l’aide à la prise de décision.
Or seules 1% des données sont correctement exploitées par les entreprises en BtoB [1]. La faiblesse de ce pourcentage s’explique aisément : passer de la donnée à l’information est un processus long, continu et coûteux. Organiser, nettoyer et gérer ces données est pourtant un préalable catégorique si l’on ne veut multiplier les erreurs qui en découlent.
Avoir beaucoup de données sans les exploiter ne sert donc à rien pour un décideur, si ce n’est de lui faire croire qu’il est dans un monde qu’il maîtrise. Or rien n’est plus dangereux que d’oublier que nous sommes, tous, dans un monde d’incertitude.
C’est là qu’intervient la deuxième confusion entre le risque et l’incertitude.
Le risque correspond à la répétition d’événements identiques dans le passé, ce qui permet d’établir une loi de distribution, c’est-à-dire une modélisation statistique. L’exemple le plus classique est celui des statistiques de vol de voitures, qui permet de calculer la probabilité du vol de tel modèle en un endroit donné.
L’incertitude, quant à elle, correspond à des événements inédits pour lesquels il n’existe pas d’historique identique (Internet, Bitcoins, Covid-19…). L’incertitude interdit l’utilisation de statistiques pour calculer une probabilité.
Le monde de la prise de décision en entreprise est régi par l’incertitude et non par le risque
Il est vrai que, pour citer Voltaire, « L’incertitude est une position inconfortable. Mais la certitude est une position absurde ».
La certitude des statistiques, projetant sur l’avenir des modélisations mathématiques amène à un sentiment de confort, celui de la prise de décisions objectives.
Ainsi c’est pour éviter cet inconfort voltairien que les décideurs succombent si facilement à la double confusion de la donnée/information et du risque/incertitude.
L’exemple récent de la faillite de la plateforme immobilière Zillow du fait d’algorithmes basés sur des données mal maîtrisées et un une confiance aveugle en une intelligence artificielle censée résoudre la complexité a de nouveau démontré – comme si cela s’avérait nécessaire – que les données ne sont pas suffisantes pour gérer la « vraie vie ».
Il est nécessaire d’admettre que quand une décision est prise, une grande partie des données et de l’information dont on aurait besoin n’existent tout simplement pas.
Car la prise de décision est de l’ordre du futur et ce dernier n’est ni une projection du passé ni une continuation du présent.
Pour faire face à ces limites de l’usage de la donnée et de son exploitation, il s’agit tout d’abord de définir précisément ses objectifs.
Puis décrire une stratégie à partir des informations déjà disponibles et avec les données aisément exploitables. Une fois franchie cette première étape, il s’agit de se confronter à la réalité de manière incrémentale, au travers de microdécisions afin de collecter encore plus de données, pour de meilleures informations, réellement actionnables.
La méthode incrémentale, associée à la mise en place de cas d’usages au travers de Produits Minimum Viables est au cœur de ce processus.
Et c’est là que se trouvent… les Personas d’acheteurs !
Ces Personas s’avèrent nécessaires car ils permettent à l’entreprise de mettre au clair les caractéristiques des personnes qu’elle essaye de convaincre pour accroître ses chances de leur dire quelque chose qui soit pertinent, différenciant et crédible.
Le paradoxe réside dans le fait que ce sont les Personas qui vont aider à définir les objectifs et les stratégies liées à l’exploitation des données.
Ils permettent de définir le rôle et les besoins en données nécessaires pour créer des informations utiles.
Les Personas prennent en compte le fait que les prospects et les clients BtoB peuvent être tout autant motivés par leurs émotions que les consommateurs BtoC. Car les clients ne sont pas de simples entités corporate sans forme ni chaleur. Ce sont des êtres humains qui sont sujets à des besoins, des peurs, des émotions.
Les Personas aident ainsi à intégrer une dimension humaine dans les efforts marketing et pour la prise de décision. Noyau central d’une nécessaire stratégie de la donnée, les Personas d’acheteurs se trouvent ainsi au cœur de la prise de décision dans un monde incertain.
Auteur : Jean-Paul Crenn, fondateur de VUCA Strategy
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[1] Information Builders
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