Brand utility, customer journey, frameworks… parlons, en bon français, de ce qui fait les méthodes et les tendances du planning stratégique, avec notre interviewé, Arthur Sotto, planneur stratégique chez Valtech.
Quels sont les piliers de la Brand Utility ?
Le digital a bouleversé la relation marque / consommateur. Il crée de nouveaux touchpoints. Ainsi, au lieu de simplement bombarder de messages publicitaires pas toujours efficaces – les Français se méfient de plus en plus de la pub –, une marque va proposer une expérience-client forte à sa cible, avec un haut niveau de service, une expérience utile. Grâce au digital, une marque va pouvoir suivre un consommateur à toutes les étapes importantes du parcours d’achat, lui apporter un service, faire preuve d’attention à son égard.
C’est la Brand Utility : une marque qui se rend utile, qui répond aux exigences de son consommateur, qui dépasse ses attentes. La Brand Utility, c’est apporter une valeur supérieure à la simple valeur de son produit/service. Cette Brand Utility va compléter le message publicitaire, et même parfois le rendre caduc dans quelques cas. Est-ce qu’Amazon fait de la pub ? Non, l’entreprise n’a pas besoin. Parce que l’expérience Amazon est très satisfaisante, à tout point du parcours d’achat, les utilisateurs retournent sur le site et apprécient la marque. Pour construire votre image, vous avez donc votre message, basé sur un insight, vos produits mais aussi l’expérience que vous proposez.
Les exemples les plus connus sont Apple et Nike qui proposent des expériences-client fortes, s’appuyant sur de la Brand Utility. Plus récemment, on peut parler de Uber qui concurrence les taxis grâce à un haut niveau de service. Ou bien Nestlé qui a développé un site Web pour les femmes enceintes avec toutes les informations utiles, à connaître, pour une grossesse réussie. La marque répond à un insight, en apportant sa valeur ajoutée. Cela crée un lien fort entre Nestlé et les (futures) mères, au-delà des produits. Le digital, en particulier avec le mobile, est le canal privilégié de la Brand Utility car c’est un point de contact intimiste et personnalisable, avec le consommateur.
Parler de customer experience n’est-il pas éculé depuis le postmodernisme ?
Si vous définissez le postmodernisme comme l’âge d’un « consumérisme éclairé », alors je dirais que la customer experience est encore plus importante qu’auparavant. Qu’est-ce que le consumérisme éclairé ? Des consommateurs plus exigeants. Exigeants sur la qualité du produit/service vendu bien sûr, mais aussi tout ce qui l’accompagne : cérémonial de vente, service après-vente… Exigeants aussi sur les valeurs, le sens véhiculé par leurs achats. Les consommateurs sont aussi plus rétifs à l’autorité, au discours top-down. Ils veulent participer plus, s’exprimer, créer.
C’est à travers une customer experience soignée que vous allez répondre à ces attentes. Il ne faut pas la voir comme du superflu, de l’esbroufe, un trop-plein mais au contraire, comme un moyen d’améliorer l’achat et de lever les frictions dans le parcours-client. Par exemple, sur un site e-commerce, si le temps de chargement d’une page est supérieur à 3 secondes, plus de la moitié des utilisateurs va abandonner.
En apportant de l’utilité, du sens, un service irréprochable, en faisant preuve d’attention, en faisant passer vos valeurs, en racontant une histoire, en écoutant votre cible, en la laissant s’exprimer, et ce, à tous les points de contact, vos consommateurs seront plus enclins à adhérer à votre marque et acheter vos produits/services.
Consommateur prêt à payer pour ses expériences ?
Bien sûr ! Regardez le succès de Uber, Netflix et Airbnb ! Trois offres qui proposent une expérience-consommateur réussie et qui bouleversent leurs marchés respectifs. Pourquoi les trois réussissent et font bouger autant les lignes ? Parce qu’ils ont su apporter de la valeur, de l’utilité, un service en plus aux consommateurs, que les concurrents traditionnels n’ont pas su proposer ! Pour beaucoup de produits/services, la customer experience va devenir indispensable, un cost of doing business qu’il faudra intégrer dans toutes vos équations marketing.
Et lorsqu’il y a de la valeur, le consommateur sera toujours prêt à la payer. Prenez l’exemple de Spotify. Alors qu’il est très facile de télécharger illégalement de la musique, avec peu de chances de se faire attraper, de plus en plus de personnes se détournent du piratage pour prendre un abonnement premium chez Spotify ou un concurrent. L’un des points forts et discriminants de Spotify était d’offrir une synchronisation de votre musique sur tous vos appareils ! Ce que n’offraient ni le piratage ni l’offre légale. D’ailleurs, les concurrents ont tous suivi.
Pour apporter de la valeur, de l’utilité, vous devez connaître les besoins et attentes de vos consommateurs pour y répondre, voire les dépasser. Et ce sont des outils méthodologiques comme le Customer Journey qui vont vous permettre de comprendre votre cible.
Pour comprendre le « parcours client », la Customer Journey semble remplacer le tunnel de conversion…
Même si le Customer Journey est bien plus récent, il faut penser les deux outils comme complémentaires plutôt que de les opposer frontalement. Tout d’abord, aucun des deux n’est parfait, ce ne sont que des modélisations, des schémas théoriques, il ne faut pas l’oublier. Mais c’est ce qui se rapproche plus de la réalité, ils permettent de mieux l’analyser.
Le tunnel de conversion est moins adapté au parcours d’achat du consommateur. Pour cela, il faut se référer plutôt au Customer Journey. Par exemple, avec le tunnel de conversion, on considère que vous connaissez un nombre fini de marques (awareness) pour tel produit/service et, qu’au fur et à mesure de vos recherches et contacts, vous allez strictement réduire ce nombre jusqu’à un, la marque de votre achat. Or, McKinsey – qui a proposé le modèle du Customer Journey – s’est rendu compte que c’était inexact : disons que vous voulez acheter une voiture, vous avez un certain nombre de modèles /marques en tête ; vous allez commencer à collecter de l’information et vous allez abandonner certains modèles mais aussi en considérer de nouveaux, que vous ne connaissiez pas avant. La concurrence est en réalité encore plus importante parce que votre marque ne doit pas se faire « éjecter » au cours du parcours, mais vous pouvez aussi voir arriver de nouveaux concurrents, qui n’étaient forcément connu par notre consommateur avant qu’il ne décide d’acheter une voiture !
Le tunnel de conversion et le Customer Journey sont donc assez différents. L’avantage principal du tunnel de conversion est qu’il va vous aider à savoir où dépenser votre budget. Il est simple, car séquentiel, et très opérable. Il est par exemple pratique pour les modèles d’attribution en digital (premier clic, dernier clic, rémunération pondérée).
Quant au Customer Journey, il est plus « créatif », plus qualitatif (vs quantitatif), plus interactif. La construction d’un Customer Journey, grâce à la veille du planneur stratégique, permet de mieux cerner les sources d’influences du consommateur et de lister tous les points de contact avec une marque. Il nous aide à mieux comprendre les attentes, les besoins, les leviers et les freins de la cible à chaque étape du parcours-consommateur. C’est pourquoi il est prépondérant dans la boîte à outils du planneur stratégique. Le Customer Journey permet de s’adresser au consommateur, avec le bon message, basé sur un insight pertinent, au bon moment et au bon endroit. J’insiste sur ce triptyque.
La Customer Journey s’applique-t-elle au marché du chocolat en tablettes ? A celui du fromage à tartiner ?
Bien sûr, il s’applique à tous les marchés ! La force duCustomer Journey est qu’il va s’adapter à chaque industrie, en prenant compte sa spécificité. Si on revient sur l’exemple du marché du chocolat en tablettes, avec une cible féminine par exemple, vous pouvez décliner le Customer Journey sur une journée-type, sur une semaine-type ou bien sur une année-type. Vous allez constater dans les trois cas, une vraie « saisonnalité », à laquelle il faudra répondre adéquatement. Par exemple, le lundi, la consommatrice mangera moins de chocolat car durant le weekend, elle a moins surveillé son alimentation. Ou bien encore, avant l’été, la cible veut être belle en maillot sur la plage donc va faire attention à sa ligne. Le Customer Journey s’applique donc à ces deux marchés.
Mais le plus important est de bien comprendre que c’est avant tout un outil, pas une fin en soi, l’objectif est de comprendre votre consommateur.
En somme, le planning stratégique s’oriente-t-il vers de nouveaux frameworks, concepts ou pratiques ?
Oui, bien plus que les outils et concepts, c’est la posture et l’approche du planneur stratégique qui évoluent. Mais le but reste le même : être la voix du consommateur au sein de l’agence, apporter la réalité du monde extérieur en interne. Il s’assure de la cohérence, de la pertinence de la stratégie (et tout ce qui en découle) avec les attentes, besoins, usages de la cible. Son rôle d’évangélisateur est très important. Il doit guider et inspirer les équipes pour qu’elles délivrent le message adéquat, avec le bon dispositif.
Disons qu’avec l’influence du digital, le planneur stratégique doit être plus collectif. Pour caricaturer, il est descendu de sa tour d’ivoire, où il trouvait son insight et faisait son brief créatif, de façon très top-down à ses équipes créatives. Aujourd’hui, il doit plus réfléchir en termes de service(s), sans toutefois oublier l’importance du message de la marque. Avoir une approche plus pluridisciplinaire. Accompagner encore plus ses équipes. Et par exemple, au sein d’une agence digitale, être aussi à l’écoute de métiers plus technologiques pour comprendre les nouvelles possibilités et les usages à venir. Enfin, au fur et à mesure que l’on collectera et analysera de mieux en mieux la data (ex : social monitoring), celle-ci aura une place prépondérante dans la construction des recommandations du planneur stratégique. Elle permettra de trouver certains insights et de les vérifier.
***
Lire notre Dossier planning stratégique et planneurs stratégiques
(c) ill. Shutterstock – Businesswoman with bulb head multiplied on grey background