Si la data est devenue la pierre angulaire de la publicité digitale, l’environnement et les conditions de collecte de ces données sont en constante complexification. Quel avenir pour ce secteur entre régulation croissante, fronde des internautes et tentative de course en solitaire des GAFAM ?
Entre une directive européenne e-sécurité visant à contrôler la collecte et la sécurisation des données des internautes et la progression des adbloqueurs, impactant l’efficacité de leurs campagnes, les acteurs de la publicité digitale ne savent plus où donner de la tête. Apple a donc décidé de leur compliquer la tâche. Egocentrisme, hypocrisie ou réelle volonté de protéger les données et la vie privée de ses utilisateurs ? Toujours est-il que la marque à la pomme a dévoilé il y a quelques jours une toute nouvelle fonctionnalité. Une annonce qui s’apparente à un pavé dans la mare. Jugez-en plutôt ! Une nouvelle fonctionnalité, « Intelligent Tracking Prevention », est désormais disponible dans la version la plus récente de son iOS pour IPad et IPhone (iOS 11) ainsi que sur Mac. Si vous êtes utilisateurs du navigateur Safari de la version 11, cet outil limite de manière importante la possibilité pour des tiers de collecter des informations sur votre parcours de navigation. De quoi créer la panique dans le petit monde déjà inquiet de la publicité et du marketing digital.
Apple : chevalier blanc des internautes
C’est une étape supplémentaire vers une course en solitaire qu’Apple franchit ainsi. La firme de Cupertino avait déjà éliminé de Safari certains cookies (fichiers déposés sur l’ordinateur de l’internaute et chargés de le reconnaître), limitant ainsi la collecte d’information sur les sites tiers visités par ses utilisateurs. Cette fois-ci, de manière très concrète, les cookies déposés par les sites visités ne pourront pas être utilisés plus de 24 heures par les autres acteurs publicitaires. Sans nouvelle visite, ils seront définitivement effacés au bout de 30 jours. Impossible ainsi de distinguer les nouveaux visiteurs des visiteurs habituels. Voilà ainsi la fameuse expérience client, chère aux e-commerçants, largement compromise. Même si Safari ne représente que 15% du marché des navigateurs, il n’en fallait pas plus pour mobiliser l’ensemble de l’écosystème marketing, hurlant au sabotage du modèle économique sur lequel repose la publicité digitale.
Vers une tendance lourde ?
Apple n’est pas le seul à vouloir protéger ses utilisateurs, Google travaille également de son côté à un bloqueur de publicités intrusives sur sa prochaine version de Chrome, un navigateur qui détient 55% du marché. Même si Google, lui, a décidé d’agir en concertation avec l’industrie de la publicité digitale, cette tendance n’en est pas moins préoccupante. Les professionnels font déjà face à une régulation qui remet en cause de manière progressive les modèles actuels de collecte de données. Le monde des médias est, lui aussi, en alerte rouge. En mai dernier, craignant pour leur modèle économique, 33 éditeurs de presse européens ont publié une lettre ouverte au Parlement Européen et au Conseil de l’Union. Ils demandaient une révision du projet de règlement e-Privacy. L’argument utilisé était le suivant : la presse ne saurait se passer des données numériques générées par ses lecteurs, celles-ci étant utilisées non seulement pour améliorer l’offre éditoriale mais aussi pour mieux satisfaire les attentes des lecteurs internautes. Sans ces données, son modèle économique risque de s’effondrer.
Le modèle actuel de collecte des données menacé
En effet, le projet de régulation européenne sur les données collectées (Règlement Général de Protection des Données, RGPD), qui doit entrer en vigueur en mai 2018, intègre une mesure inquiétante pour les professionnels. Le texte indique que les navigateurs disponibles sur le marché devront proposer aux internautes, une option permettant de refuser par défaut la collecte de leurs données personnelles. Selon le modèle actuel, chaque site recueille le consentement de l’internaute, avant de déposer des cookies techniques ou publicitaires sur l’ordinateur du visiteur. Mais, si le règlement e-Privacy n’est pas modifié, les utilisateurs pourront décider de refuser par défaut tous les cookies ou de ne les autoriser qu’au cas par cas. Le pouvoir est désormais aux mains des internautes. Cette nouvelle donne constituera un avantage clé pour les réseaux sociaux. Devenus le réflexe quotidien de millions d’européens, ceux-ci ne devraient pas avoir de mal à obtenir l’accord de leurs utilisateurs pour continuer à collecter leurs données personnelles, pendant que les autres acteurs risquent d’en être empêchés. De quoi renforcer l’hégémonie des GAFAM.
Vers la nécessité de modèles alternatifs
Face à ces menaces et pour minimiser les risques, les régies, les éditeurs de presse et les annonceurs doivent diversifier leurs pratiques publicitaires. Ils doivent commencer à s’intéresser à des modèles alternatifs de collecte de données, basés sur le consentement de l’internaute, des modèles déjà en ligne avec les nouveaux textes législatifs. De telles offres existent à l’heure actuelle. Elles privilégient l’interactivité et l’engagement des internautes. Elles reposent sur des modèles non intrusifs, respectueux du parcours de lecture. Contrairement aux publicités qui s’affichent sur la page de l’Internaute et qui sont facturées au centimètre pixel, comme dans les bons vieux annuaires téléphoniques, ces pratiques responsables sont dans la droite ligne de l’interactivité permise par le digital. En signant la fin de la partie, le législateur vient de remettre l’utilisateur au centre des préoccupations. Est-ce une mauvaise chose ? Et si tous ces bouleversements, au lieu de représenter une menace, constituaient une opportunité de réinvention unique pour la publicité digitale ?
Auteur : Marc Leprat, Président Directeur Général de ViewPay
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Tiana
10 octobre 2017 à 11:06
Votre article traite d’une réelle problématique liée aux modèles économiques numériques. La solution est surement à la croisée des chemins: privilégier le native advertising, éduquer les utilisateurs sur ce qu’est la collecte de données et ses fins, ne plus laisser les éditeurs mettre des pubs intrusives, expliquer les limites du système aux annonceurs… Car au final, il n’y a pas de « gentils » et de « méchants » dans cette histoire.