Un phénomène important qui caractérise notre siècle est « le vieillissement démographique ». D’après l’INSEE, en 2050, un habitant sur trois serait âgé de 60 ans ou plus contre un sur cinq en 2005. De par l’importance des seniors, les débats se multiplient autour de cette cible aux caractéristiques diverses. Pourtant, elle fait l’objet aujourd’hui de nombreuses idées reçues auxquelles les managers doivent s’intéresser. Sous peine de se bercer d’illusions…
Les préjugés liés à la communication auprès des seniors
De par leurs potentiels démographique et économique, les seniors ont attiré l’attention des responsables marketing qui cherchent à conquérir cette cible de façon optimale. Il convient alors de déterminer le type de communication la plus efficace pour toucher les seniors. Force est de constater que la littérature actuelle académique et managériale n’apporte pas ou peu de réponses en matière de choix du type de publicité à privilégier pour atteindre les personnes âgées: les praticiens semblent recommander le recours à des messages de nature informationnelle avec toutefois des éléments d’exécution relatifs aux modes de présentation des seniors et de leur entourage susceptible de véhiculer des émotions. Cependant, en raison du vieillissement et de ses conséquences sur le comportement des seniors, on peut remettre en question l’efficacité des publicités informationnelles auprès des seniors. En effet, en vieillissant, les seniors peuvent rencontrer, outre les problèmes physiques des modifications cognitives (problèmes de baisse des capacités intellectuelles, problèmes de concentration ou d’attention, problèmes de mémorisation et de récupération de l’information…) et des modifications psychologiques (proximité perçue de la fin de vie, priorisation des buts à sens émotionnel…).
Ainsi, les seniors ont plus de chance de poursuivre des buts émotionnels dans des domaines tels que la mémorisation, l’attention et la publicité. Ceci peut donc confirmer que des publicités à dominante émotionnelle sont plus efficaces pour cibler les seniors. Il faut donc sensibiliser les praticiens à la nécessité de prendre en compte les particularités physiques, psychologiques et sociales des seniors lors de la création d’un message publicitaire qui leur est destiné. En effet certains publicitaires ont tendance à oublier que les seniors portent des lunettes, qu’ils ont des problèmes d’attention et de mémorisation. Ils leurs adressent des messages publicitaires avec des textes longs et rédigés en petits caractères. D’autres, caricaturent et ridiculisent les seniors sans se soucier de les agacer ou de les offenser.
Séniors, préjugés et vieillissement
Par ailleurs, les préjugés liés au processus de vieillissement et à ses conséquences au quotidien sont nombreux. Il est indéniable que le vieillissement s’accompagne de difficultés physiques (telles que la maladie ou le déclin des capacités sensorielles), cognitives et sociales (avec le départ en retraite qui implique la perte des rôles sociaux et de contact social en général). Ces difficultés peuvent être sources de stress pour les seniors. Pour autant, les seniors semblent faire face à ces difficultés de façon efficace en mobilisant des ressources et des stratégies adaptatives propres à cette période de l’existence. D’ailleurs, les niveaux de bien-être psychologique et de sentiment d’efficacité personnelle diffèrent peu entre les jeunes adultes et les retraités. A ce sujet, de nombreux auteurs parlent alors de « vieillissement réussi ».
Les ressources mobilisées pour faire face au vieillissement sont nombreuses. Il s’agit par exemple de connaissances acquises par l’expérience ou d’un certain niveau de sagesse ou de maturité. Une étude récente montre même que la créativité, définie comme la capacité à réaliser des productions originales, semble atteindre son plus haut niveau chez les plus de 60 ans. De plus, et de façon étonnante, l’anxiété face à la mort augmente au cours de l’existence pour diminuer à partir de 50 ans. Le vieillissement réussi s’illustre également par l’utilisation de stratégies adaptatives positives propres aux seniors afin de faire face aux difficultés potentielles. Il peut s’agir de la réévaluation positive des événements par exemple ou du recours au soutien social pour gérer ses émotions négatives de stress. De la même manière, l’exercice du leadership au sein d’une association peut être une stratégie efficace pour les seniors, car elle leur permettrait de regagner un rôle significatif et de restaurer un niveau de satisfaction personnelle significatif. De même, les réseaux sociaux leur permettent également de retrouver une estime de soi et un sentiment de contrôle sur son existence. Ces éléments suggèrent ainsi que le vieillissement, bien qu’il s’accompagne de difficultés au quotidien, peut avoir des conséquences positives et être source d’épanouissement.
L’utilisation du web par les séniors, dernier préjugé
Les seniors cristallisent d’autres formes de préjugés relatifs à leur rapport avec le web. En effet, le manque de familiarité avec les outils numériques, les particularités physiques, psychiques et sociales, principalement dues au processus de vieillissement, leur appréhension du caractère pointilleux et du risque inhérents à l’utilisation de certaines applications numériques (e.g. paiement en ligne…) sont des préjugés dont font l’objet les seniors. Pour autant, et les études le confirment, il convient de nuancer ces préjugés pour différentes raisons ; les seniors plébiscitent le web et adoptent depuis 2007 les mêmes pratiques en matière du web que le reste des français s’il on se réfère aux données de l’Institut Français des Seniors. Ils sont de plus en plus actifs sur Internet ; les usages en la matière sont de plus en plus étendus : recherche des informations, des liens sociaux avec d’autres individus partageant ou non les mêmes préoccupations, centres d’intérêts, shopping ou encore divertissement. De même, une étude du Web Observatoire de Médiamétrie conduite en 2013 met en relief les usages dominants des seniors âgés de 60 ans et plus tels que les échanges des emails, la consultation des informations pratiques (météo, horoscope, annuaire, trafic routier) et lecture de la presse. Selon l’Institut Français des Seniors, les usages du digital peuvent se répartir comme suit :
- 10.5 millions d’internautes français ont + de 50 ans ;
- 25% des acheteurs en ligne ont plus de 50 ans (+ 37 % en 1 an) ;
- 64% ont déjà achetés en ligne ;
- 45% des + de 50 ans sont des silvers surfers ;
- 69% des 50+ ont un ordinateur (82% chez les 50-64 ans) ;
- 45% se connectent à internet au moins 1 fois / jour (56 % chez les 50-64 ans) ;
- 71% ont un téléphone mobile (86 % chez les 50-64 ans) ;
- 51% ont une box ADSL triple play (62 % chez les 50-64 ans) ;
- 2 seniors américains sur 3 repèrent leurs achats en ligne avant d’acheter dans le commerce.
Cette tendance concerne particulièrement la génération récente des seniors assez informée en matière d’utilisation des nouvelles technologies en comparaison avec les anciennes générations des seniors. En outre, force est de constater que le recours à Internet se développe sous un double effet : 1) les caractéristiques individuelles (besoin de rompre avec la monotonie, difficultés inhérentes au vieillissement, liberté d’organiser le temps, besoin de socialisation, de connaissances et d’épanouissement), 2) développement croissant des technologies, extension des usages afférents (objets connectés «tablettes conçues spécifiquement pour les seniors «Tooti Family » …), démocratisation de l’accès à ces technologies, à internet grâce aux formations et à l’accompagnement pensés et dédiés pour les seniors.
Auteurs : Judith Partouche-Sebban, Imen Safraou et Karim Errajaa, Professeurs associés, PSB Paris School of Business
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Un article de notre dossier Senior Marketing
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