Droit et pratiques marketing

Protection et stratégie de marque dans la société digitale

Les enjeux relatifs à la marque dans la société digitale sont aussi multiples qu’il existe de sources d’information et d’opportunités de visibilité sur le web, qui sont autant de risques de contrefaçon ou parasitisme. Le seul enregistrement de la marque ne suffit donc plus à assurer son monopole. Perrine Pelletier, Pelletier Avocats

La marque est au cœur de la stratégie de développement commercial d’une entreprise, laquelle dorénavant ne peut plus se priver d’une présence numérique. Dans la société digitale, loin des éléments distinctifs tactiles ou sensoriels du packaging utiles au monde réel, la marque doit répondre aux exigences complexes de visibilité via les multiples portes d’entrées du web.

Les enjeux relatifs à la marque dans la société digitale sont aussi multiples qu'il existe de sources d'information et d'opportunités de visibilité sur le web, qui sont autant de risques de contrefaçon ou parasitisme. Le seul enregistrement de la marque ne suffit donc plus à assurer son monopole.

Les enjeux relatifs à la marque dans la société digitale sont aussi multiples qu'il existe de sources d'information et d'opportunités de visibilité sur le web, qui sont autant de risques de contrefaçon ou parasitisme. Le seul enregistrement de la marque ne suffit donc plus à assurer son monopole

J'ai un job dans la com', par Serge-Henri Saint-Michel

La marque est le signe distinctif qui permet d’identifier des produits ou services afin de les différencier de ceux de ses concurrents, elle véhicule l’identité de l’entreprise. En droit, la marque déposée confère un monopole d’exploitation sur un territoire donné, dans des secteurs d’activités déterminés (secteurs désignés selon la classification internationale de Nice), pour dix années, et indéfiniment renouvelable.

Les premières étapes de la stratégie de marque ne relèvent pas spécifiquement du monde virtuel : le choix du signe suppose de définir une identité verbale, sonore, graphique ou complexe, d’en vérifier la licéité, son caractère distinctif et la disponibilité par rapport à des droits antérieurs. Se pose ensuite la question de l’étendue géographique de protection d’une marque, française, communautaire ou relevant d’une extension internationale au cas par cas pour les pays choisis, en fonction des perspectives réelles d’exploitation commerciale desdits produits ou services. Quant aux classes sélectionnées, elles permettent de faire coexister des marques identiques ou similaires mais non concurrentes, en raison de leur domaine d’activité respectif.

Mais qu’en est-il lorsque les titulaires de marques identiques ou similaires, qui coexistent juridiquement en raison de leur enregistrement portant sur des territoires et/ou classes différents, s’invitent sur le web ?

Titulaires de marques identiques ou similaires…

Que ce soit à vocation de distribution à distance ou de seule existence numérique, la marque digitale existe d’abord via son adresse, soit via un nom de domaine qui constitue la porte d’entrée vers son site. Certes des extensions géographiques en .fr, .uk, .eu., .com etc. existent mais ne permettent pas de se superposer aux territoires protégés au titre de la marque déposée. Quant aux classes protégées elles ne permettent évidemment pas de se distinguer dans le libellé du nom de domaine.

C’est donc en termes de disponibilité que les choses se compliquent pour le choix d’une marque dans une perspective digitale. En pratique il devient incontournable de réserver le nom de domaine correspondant à sa marque. Or, celui-ci peut être déjà pris par une marque déposée dans une autre classe ou pour un autre territoire ou par un titulaire d’un nom de domaine n’ayant pas de marque correspondante. En droit, la question de résolution de litiges entre une marque et un nom de domaine a fait l’objet d’un abondant contentieux, notamment parce que les réglementations octroyant un monopole sur une marque et sur un nom de domaine, dans une dimension éminemment internationale, ne sont ni concordantes ni harmonisées.

En effet, en ce qui concerne les noms de domaine, le premier à réserver est l’heureux titulaire du nom de domaine : l’attribution se faisant sur la seule base déclarative du demandeur qui en assume la responsabilité en cas de révélation ultérieure d’atteinte à l’ordre public ou aux droits d’un tiers (Article 45-1 du Code des Postes et Télécommunications). Afin de s’y opposer au titre de son monopole sur une marque antérieure, encore faudrait-il que l’enregistrement du nom de domaine concerné soit qualifié de contrefaçon.

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Perrine Pelletier, Pelletier Avocats

Perrine Pelletier, Pelletier Avocats

En application d’une jurisprudence établie au fil des années 2000, il ne suffit donc pas de revendiquer sa marque antérieure ni même faire valoir que celle-ci serait enregistrée en classe 38 (services télématiques, informatiques, électroniques) pour s’opposer à un nom de domaine concurrent. Les juges s’en expliquent : « L’enregistrement d’un nom de domaine est en lui-même neutre, de même que l’est le support que constitue un site Internet ; en l’espèce il n’est pas établi que les enregistrements et les sites litigieux concernent les services pour lesquels la protection des marques est revendiquée voire des services similaires » * sans pour autant exclure une possible qualification en concurrence déloyale ou parasitisme.

Confusion et contrefaçon

En tout état de cause, si l’enregistrement d’un nom de domaine venait à porter à confusion quant à l’origine des produits ou services d’une marque enregistrée, alors, les juges pourraient prononcer la contrefaçon : il en va de la défense de la fonction fondamentale de la marque ayant vocation à garantir l’identification de l’origine de ses produits ou services**.

A l’inverse, dans le cadre d’un enregistrement de marque, le titulaire d’un nom de domaine peut faire valoir son antériorité, à l’instar de ce qui existait jusqu’alors au titre d’une dénomination sociale à compter de l’enregistrement d’une société au RCS par exemple. Les noms de domaines enregistrés antérieurement au dépôt d’une marque viennent donc s’ajouter à la liste non exhaustive de l’article L. 711-4 du CPI. Néanmoins, si le nom de domaine est enregistré mais non exploité, il ne confère aucun droit à son détenteur qui ne pourra empêcher l’enregistrement de la marque. De ce point de vue, marque et nom de domaine ont en commun de tomber en désuétude s’ils ne sont pas utilisés.

Au demeurant, une opportunité nouvelle pour les marques digitales se présente depuis que l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), en charge de la gestion mondiale des gTLDs (Generic Top-Level-Domains) ou noms de domaines génériques de premier niveau a annoncé l’ouverture de nouvelles extensions au nom de sa marque, ou de sa ville pour les agglomérations touristiques telles que « .PARIS » par exemple. Le dépôt des candidatures aura lieu auprès de l’ICANN entre 12 janvier et le 12 avril 2012 et suppose de présenter les aspects financiers, techniques et opérationnels du projet et de régler des frais à hauteur de 185 000 $***.

En somme, chaque composante, innovation ou phénomène de mode du web, qui requiert une identification au moyen d’un libellé verbal, représente une occasion de faire exister sa marque, mais aussi un risque de se voir usurper ses termes distinctifs protégés. Il en est ainsi, non seulement des noms de domaine mais aussi des médias sociaux, des outils de référencement, des applications mobiles, et des plateformes de vente correspondantes.

Médias sociaux et protection de la marque digitale

En ce qui concerne les médias sociaux, la stratégie de marque suppose de créer sa page Facebook et son compte Twitter avant qu’un utilisateur ne crée un compte en votre nom. En matière de référencement, une jurisprudence établie**** considère dorénavant qu’une société exploitant un moteur de recherche ne commet pas des actes de contrefaçon dans l’usage de mots clés qu’un titulaire d’une marque pourrait interdire. En revanche, l’exploitant de ce moteur de recherche, en l’espèce, Google, devra agir sans délai dès qu’il lui sera signifié que des liens commerciaux contrefont des marques. L’annonceur quant à lui, peut être accusé de contrefaçon si les mots clés réservés portent atteinte à la fonction essentielle de garantie d’origine de la marque, c’est-à-dire si l’annonce est susceptible de porter à confusion dans l’esprit du consommateur.

Il faut retenir de cette décision fondamentale que le titulaire d’une marque a intérêt à surveiller l’usage qui en est fait sur les moteurs de recherche et maîtriser habilement les outils de référencement, y compris afin de savoir mettre en demeure efficacement un concurrent qui usurperait un terme ou empièterait sur une zone géographique protégée.

En matière de surveillance, il ne suffit donc plus de se limiter à une surveillance de marques (auprès de l’INPI en France, l’OHMI à l’échelle communautaire et l’INPI pour l’international). Il est prudent de mettre en place également une surveillance des noms de domaines via les Whois mais aussi, et de plus en plus, de surveiller les places de marché d’applis mobiles.

L’appli mobile devient en effet un outil stratégique de communication autour de la marque et les cas d’usurpation voire de contrefaçon (non seulement de logiciels ou visuels mais aussi) de termes distinctifs protégés sont fréquents. A l’instar de Google pour Adwords, les plateformes d’applis ont mis en place des formulaires de déclaration d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle pour en faciliter la gestion.

Enfin, les veilles sur sa marque dans la société digitale ne visent pas seulement à surveiller les risques de contrefaçon ou de parasitisme mais tendent également à maîtriser sa communication. Car la gestion stratégique de sa marque suppose également de savoir/ pouvoir gérer les modalités de sortie d’un nouveau produit ou service par des canaux de distribution choisis, à une date définie et à un prix maîtrisé, et ce, vis-à-vis des plateformes de petites annonces ou d’actualités, susceptibles de court-circuiter une stratégie de marquet et ainsi lui porter préjudice*****. Dans de tels cas des actions en référés sont très efficaces afin de faire retirer par l’éditeur du site le contenu litigieux.

Pour conclure, les enjeux relatifs à la marque dans la société digitale sont aussi multiples qu’il existe de sources d’information et d’opportunités de visibilité sur le web, qui sont autant de risques de contrefaçon ou parasitisme. Le seul enregistrement de la marque ne suffit donc plus à assurer son monopole ; son existence dans la société digitale et si possible son exclusivité, suppose d’adopter de nouveaux réflexes stratégiques :

  • protéger sa marque : en réservant toutes les entrées possibles et surveillant les cas d’usurpation possibles), afin de garantir l’origine des produits et services de sa marque, ce qui répond à la fonction essentielle de cette dernière ;
  • faire fructifier sa marque : en maîtrisant précisément les outils de référencement des moteurs de recherche généraux ou de plateformes d’applis mobiles qui sont autant de vecteurs promotionnels, fonction complémentaire et incontournable de la marque digitale.

Auteur : Perrine Pelletier, Pelletier Avocats

Notes

* TGI Nanterre, 2 avr. 2001, SA Zebank c/ ST2 123 Multimédias Canada et France : www.legalis.net
** Seule la marque notoire peut faire obstacle à l’enregistrement d’un nom de domaine quand bien même le site ne proposerait aucun contenu contrefaisant ou portant à confusion quant à l’origine des produits ou services : le seul usage de la marque notoire peut porter préjudice à celle-ci, en dehors de sa spécialité.
*** Pour plus de détails sur les critères d’évaluation des candidatures voir : http://icann.org/newgtlds
**** Notamment depuis la décision rendue par le CJUE le 23 mars 20120 affaires jointes C-236/08 à C-238/08
***** Seule la liberté d’expression est susceptible de restreindre les droits relatifs à la maîtrise de la communication sur sa marque. Dès lors, des sites communautaires ou des blogs critiques ou encore des noms de domaine réservés à des fins caricaturales ou critiques englobant le nom d’une marque tel que www.jeboycottedanone.com  ne peuvent être sommés de retirer leur contenu s’il en résulte que lesdits sites ne portent pas à confusion ne peut être considéré comme contrefaçon.

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1 Commentaire

1 Commentaire

  1. Keep Alert

    15 avril 2014 à 9:44

    Un point paradoxal en ce qui concerne les noms de domaine et les noms d’utilisateur en général, c’est que contrairement aux marques, on ne peut pas en déposer plusieurs du même nom s’ils appartiennent à des secteurs différents. Ainsi, si les stylos Montblanc n’auront aucun mal à coexister commercialement avec les crèmes éponymes, il n’y a qu’un seul nom de domaine en .fr pour les deux (à l’identique) !

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